24 Images par seconde
Tout commence par une collection d’images, rassemblées au fil des années. Des fragments venus du cinéma, de cet espace de projection où j’ai grandi, où la lumière du film est devenue ma première matière. J’ai appris à voir à travers l’écran : ce n’est pas tant moi qui ai regardé les films, mais les films qui m’ont regardé.
Parfois, au cœur d’un film, une image surgit. Elle dure une fraction de seconde, mais elle me percute, me traverse, s’imprime dans la mémoire. Je la capture, ou plutôt, c’est elle qui me capture. Ces images, je les archive, les laisse reposer, avant de les manipuler : découper, recadrer, superposer, recomposer.
Ces gestes manuels, parfois archaïques, redonnent à l’image une présence physique. Ils déplacent l’image du flux immatériel vers une expérience tangible. Travailler une image n’est pas pour moi une quête de sens, mais un acte d’usage : un contact direct, une manière d’en éprouver la matière. L’image projetée devient alors substantielle au monde. Ainsi la peinture ou le format tableau me permet de venir rajouter du temps. Rajouter du temps à ces images soustraites au format film. (Accord de l'adjectif)
Peu à peu, les images dialoguent entre elles, se répondent, se déploient dans l’espace. Elles entrent en résonance avec mes propres prises de vue, avec d’autres œuvres, d’autres récits. De ces frictions naissent de nouveaux espaces, de nouvelles temporalités, où l’image agit autant qu’elle signifie.
Le cinéma a modelé nos représentations du monde, nos corps, nos relations. En manipulant ses images, je cherche à déplacer ces modèles, à reconstruire autrement ce qui nous relie au réel. C’est une manière de redonner à l’image un usage, un poids, une intensité — et, à travers elle, de réapprendre à habiter le monde.
Mon travail devient alors un dialogue entre mémoire et geste, entre flux et matière. En rejouant les images qui m’ont façonné, j’en fais naître d’autres : des images qui ne représentent pas le monde, mais le prolongent — pour, peut-être, faire monde à mon tour.
Loïc Morel-Derocle